Étreintes brisées / Los abrazos rotos / Pedro Almodovar

Publié le par Limess





Sortie: 20 mai 2009

> L'histoire: Dans l'obscurité, un homme écrit, vit et aime. Quatorze ans auparavant, il a eu un violent accident de voiture, dans lequel il n'a pas seulement perdu la vue mais où est morte Lena, la femme de sa vie. Cet homme a deux noms : Harry Caine, pseudonyme ludique sous lequel il signe ses travaux littéraires, ses récits et scénarios ; et Mateo Blanco, qui est son nom de baptême, sous lequel il vit et signe les films qu'il dirige.. Depuis qu'il a décidé de vivre et de raconter des histoires, Harry est un aveugle très actif et attractif qui a développé tous ses autres sens pour jouir de la vie, sur fond d'ironie et dans une amnésie qu'il a volontairement choisie ou, plus exactement, qu'il s'est imposé. Il a effacé de sa biographie tout ce qui est arrivé quatorze ans auparavant. Il n'en parle plus, il ne pose plus de questions ; le monde a eu vite fait d'oublier Mateo Blanco et il est lui-même le premier à ne pas désirer le ressusciter... Une histoire d'amour fou, dominée par la fatalité, la jalousie et la trahison. Une histoire dont l'image la plus éloquente est la photo de Mateo et Lena, déchirée en mille morceaux.

Pedro Almodovar, c'est un peu l'éternel outsider du festival de Cannes. Présentant, durant les différentes éditions, longs métrages sur longs métrages dans l'espoir, un jour, d'atteindre cette suprême palme d'or... Avec les Étreintes brisées, la presse s'est unanimement emballée face à la maestria de ce grand cinéaste espagnol... ce qui ne fut pas le cas du jury présidé par Isabelle Hupert, Almodovar repartant du festival complètement bredouille. Une prochaine fois, peut-être ?

En grand cinéphile qu'il est, Pedro Almodovar a toujours été doué pour parler de cinéma à l'intérieur de ses films, rendant hommage à des oeuvres du 7e art et des actrices, comme Bette Devis et Eve dans Tout sur ma mère, ou en mettant en scène des acteurs et des tournages lors de sublimes mises en abîme - La mauvaise éducation. Ses Étreintes brisées sont, elles, directement inspirées de l'âge d'or hollywoodien, par une vibrante reprise de ce genre ultra codifié qu'est le film noir. A l'ambiance moite et oppressante de l'intrigue s'oppose ainsi les décors aux couleurs criardes si chers au cinéma d'Almodovar, comme une sorte de rencontre surréaliste et fascinante entre deux univers cinématographiques radicalement éloignés. Suivant un réalisateur devenu aveugle, le cinéaste tisse avec fougue les liens d'une histoire d'amour passionnelle et au combien passionnante, mêlant amant jaloux, fausse femme fatale et relation secrète et interdite. Sous nos yeux, il métamorphose ainsi sa muse Penelope Cruz en une sorte d'Ava Gardner ibérique, ses cheveux bruns ondulant sur ses épaules nues. La belle n'a d'ailleurs jamais été aussi rayonnante, Pedro Almodovar la mystifiant presque en invoquant en elle des fantômes d'actrices du passée. Prenant les traits d'Audrey Hepburn comme de Marilyn Monroe, le temps d'une séance photo, au gré des changements de perruques...


Mais plus qu'une réminiscence d'un certain cinéma d'antan, les Étreintes brisées est plus simplement un hommage au cinéma avec un grand C, expiant à l'écran, à travers son héros, le cauchemar de tout cinéphile: celui de perdre la vue. Est-ce aussi celui du réalisateur ? Très certainement, Mateo Blanco n'étant autre que le double de Pedro Almodovar, réalisant dans l'histoire une oeuvre si joliment intitulée Filles et Valises, soit Femmes au bord de la crise de nerfs. Sous forme d'un immense clin d'oeil, le cinéaste invoque ainsi tout une mythologie de son propre cinéma, rejouant sous nos yeux certaines des scènes les plus incroyables de son long métrage, du gaspacho empoisonné au matelas brûlé. Invitant le temps d'une séquence certaines de ses actrices, de Rossy de Palma - Femmes au bord de la crise de nerfs, Kika- à Lola Dueñas - Parle avec elle, Volver - ou Angela Molina - En chair et en os. Mais les Étreintes brisées, c'est aussi une réflexion plus profonde sur la confection même du cinéma, de ce désir de créateur, par l'écriture ou la réalisation, de ce qui pousse à l'inspiration - ici, des photos - et les multiples obstacles que masquent les différentes productions. Que ce soit pour les financements ou le final cut. Plus qu'un film sur la passion amoureuse, ces Étreintes brisées sont ainsi à la fois celles des deux amants mais aussi celles détruites qui noueraient un réalisateur à une de ses oeuvres sacrifiées par la main d'un autre. A ce titre, Almodovar atteint d'ailleurs son apogée émotionnelle lors cette séquence du montage final et tardif de Filles et valises... Un beau film.




> Festival international de Cannes 2009: en compétition


Crédit photo: Sony Pictures Classics

Publié dans En salles

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